Hé oui. Lorsque j'étais enfant, la seule mention par un adulte ou un petit camarade des mots "an deux mille" me trouait carrément le cul. Me laissait pantois, veux-je dire (car à l'époque j'aimais à employer un langage châtié qui faisait la joie de mes parents et l'admiration des passants).
En l'an 2000, pensais-je alors, tout le monde aura droit à un pistolet lazer, on aura des petits téléphones pour se dire où qu'on est quand on joue à cache-cache dans les garages et pisque on sera grands on aura des motos qui volent et en appuyant sur un bouton il y aura des trucs qui sortent en faisant "vrouuut" pour tirer sur les ennemis.
Ces perspectives guerrières m'enthousiasmaient au plus haut point, et je dois bien vous avouer, chers petits amis, que je n'avais alors que faire de la cruauté du monde et de l'hypothèse d'un au-delà, et que pas une ligne de Guy Sorman n'aurait pu me gâcher la journée. J'étais insouciant. Un enfant, quoi. Que l'on me pardonne.
Bref, tout ça pour vous dire que l'an 2000 représentait pour moi la modernité (technique) absolue. La preuve, Pressing 2000 possédait un machin qui faisait défiler les vêtements et après, pfouit, un autre machin se chargeait de les emballer dans du plastique transparent afin, sans doute, m'imaginais-je alors (j'étais déjà très perspicace), que la pluie ou quelque éclaboussure de boue ne puisse les souiller, puisque qu'ils venaient d'être lavés (à l'eau claire et aux polyphosphates gras ionisés au polypropylène expansé CH2O+, mais ça je n'en savais rien, car comme je viens de vous le dire, je n'étais qu'un enfant).
L'an 2000 c'était donc du top. Et que cachaient ces fantasmes enfantins d'un monde techniquement surdéveloppé ? Hein ? Je vous le demande ? Hé bien on pouvait y lire la foi dans le progrès, l'optimisme et la confiance en l'avenir. Nous étions sur la voie royale qui nous menait à l'an 2000 où tout serait beau, tout irait bien, où de petites fleurs multicolores embaumeraient l'atmosphère des villes en poussant spontanément sous le souffle tiède des astro-mobiles glissant en silence dans les rues chantantes et rieuses où chacun s'épanouirait. Bref, l'an 2000, ça arrachait à fond.
Mais on m'a fichu en l'air mon an 2000. Déjà, Clinton m'a foutu les boules en 1997 en déclarant qu'il fallait "construire le pont vers le XXIème siècle". C'est vrai quoi, ça n'aurait pas été marrant de rester coincé à 23h 59mn 59s le 31/12/99. Cette possibilité m'effrayait et je priais tous les soirs pour que ces diables d'américains réussissent à nous construire ce putain de pont parce que, merci bien, mais l'an 2000 j'y tenais, moi. Alors rester bloqué en 1999, hein…
Oui, on m'a gâché mon an 2000. Maintenant qu'on y est, je peux vous le dire : l'an 2000 me déçoit beaucoup. Pourquoi ? Parce que :
En l'an 2000, on repasse encore nos fringues avec un bout de métal chaud.
En l'an 2000, on essuie encore la pluie sur les pare-brises avec un bout de caoutchouc qui fait "oinch-oinch".
En l'an 2000, on se rend tout juste compte que les polyphosphates gras polyinsaturés (ou approchant) de Pressing 2000 sont des trucs dégueu.
En l'an 2000, on achète des fraises et des tomates bien rouges et qui tiennent 3 mois dans le frigo mais qui n'ont plus un soupçon de goût.
En l'an 2000, plein de gens ont dit : "chouette, c'est l'an 2000".
En l'an 2000, des astrologues viennent faire des prédictions au journal télé.
En l'an 2000, des gens croient aux prédictions des astrologues du journal télé.
En l'an 2000, le cancer a de l'appétit et Crozemarie aussi.
En l'an 2000, on roule encore dans des voitures qui puent comme au début du siècle.
En l'an 2000, Windows plante toujours et Linux j'y comprends que dalle.
En l'an 2000, les pays du G8 se réunissent plus vite pour lutter contre la cybercriminalité que pour lutter contre les paradis fiscaux.
En l'an 2000, des gens se font encore la guerre parce qu'ils sont nés.
En l'an 2000, des gens ressentent encore une fierté à être Corses, Bretons ou Basques alors qu'ils n'y sont pour rien.
En l'an 2000, les libéraux victorieux avilissent tous les symboles de la lutte pour la Liberté, l'Egalité et la Fraternité en les collant dans des pubs à la con.
En l'an 2000, Bernard Pivot reçoit toujours Jean d'Ormesson.
En l'an 2000, beaucoup de journalistes pensent que PPDA est un grand journaliste.
En l'an 2000, Tim Burton a raté son Sleepy Hollow, de Palma s'est sévèrement lourdé avec son Mission to Mars et Guédiguian est parti en sucette avec A l'attaque.
En l'an 2000, je ne verrais toujours pas Léo Ferré sur scène.
En l'an 2000, j'ai un petit téléphone qui donne le cancer de l'oreille mais je ne joue plus à cache-cache dans les garages.
En l'an 2000, comme les poulets, on vit en batterie dans des hangars carrés à la périphérie des villes. On fait nos courses à Auchan en batterie, puis on traverse le parking pour aller au restaurant Buffalo Grill en batterie, à la suite de quoi on regarde un film en batterie au multiplexe UGC. En l'an 2000, on a une nouvelle devise : Travail, Famille, Batterie.
Décidément,
l'an 2000 me déçoit beaucoup…
vivement 2001, chers petits amis !
Si l'an 2000 vous déçoit
aussi,
dîtes-le nous !
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