"Le sportif, pratiquant ou spectateur, fait plus qu'ignorer la critique ; il la déteste comme un obstacle qui vient s'interposer entre l'objet de son éventuelle jouissance et lui ; il la hait. Il a une sainte horreur des théoriciens dont la fonction sociale est de tuer le plaisir en le décortiquant, en le soupesant, en le relativisant."
Michel Caillat, Pensées critiques sur le sport.
Des dogmes.
Des temples. Des prêtres. Des inquisiteurs.
La religion catholique au 16ème siècle ? Non, la religion sportiste du 21ème…
Provocation ? Exagération ? Hélas, non. Simplement le résultat d’une observation
attentive et distanciée de la structure et du fonctionnement du champ sportif.
Des dogmes
Comme toute religion, le sport a ses dogmes. Ceux-ci sont par nature indiscutables
et font partie de l’impensé social. Ce sont des lieux communs qui “ tombent
sous le sens ” et que personne ne songe à remettre en question. On regarde d’ailleurs
avec une lueur d’étonnement et d’incrédulité dans les yeux quiconque tente de
les discuter. Renier ces dogmes aujourd’hui, c’est comme renier Dieu dans les
siècles passés… Les risques en moins, heureusement…
On peut distinguer deux principaux dogmes :
1- "Le
sport, c’est bon pour la santé".
FAUX. Une activité physique modérée et conduite intelligemment est en effet
bonne pour la santé, mais pas le sport qui fait passer le bien-être physique
et psychologique de l’individu bien après la performance pure. Attention, on
ne parle pas ici simplement du sport de haut niveau, mais bien du sport tel
qu’il est pratiqué aujourd’hui dans des dizaines de milliers de clubs : petits
gymnastes qu’on veut transformer en poupées de latex en leur bousillant les
articulations, petits footballeurs dont on essaie de muscler précocement les
jambes au détriment de leur croissance, tout en leur imposant une pression psychologique
abominable —voire une programmation— visant à la simple réalisation d'une "performance"…
totalement vaine ! On pourrait bien évidemment multiplier les exemples pendant
quelques dizaines de pages. Bref, la "casse sportive", aussi bien physique que
psychologique, existe bel et bien mais un épais silence la recouvre et chaque
acteur du champ sportif (entraîneurs, médecins, journalistes, etc.) continue
à vanter les bienfaits du sport... pourtant très largement mythiques.
2- "Le
sport est l’apprentissage de la démocratie".
FAUX. La structure symbolique du champ sportif en fait en réalité l’exact inverse
de la démocratie. Belle démocratie que celle qui s’acharnerait à promouvoir
le goût du combat et de la confrontation violente, le culte de la personnalité
de celui qui a vaincu par la force, le culte de la nation et des ses symboles
les plus primaires au détriment d’un universalisme pacificateur. Le sport, c’est
la loi de la jungle et du clan théorisée, mise en règles, mais certainement
pas son dépassement comme l’est justement l’idéal démocratique.
Des
temples
Ces temples sont bien évidemment les stades et les gymnases, c’est-à-dire partout
où les fidèles peuvent célébrer "la grande fête du sport". Chaque implantation
d’un nouveau terrain de sport est perçue comme un bienfait, un cadeau, un objet
de fierté. Un peu comme chaque nouvelle église ou cathédrale faisait se gonfler
d’orgueil les villes des siècles passés. Aujourd’hui, la grandeur d’une cité
ne se mesure plus à la taille de sa cathédrale mais à la taille de son stade.
Changement d’objet, même mécanisme.
Des
prêtres
Les journalistes sportifs sont les prêtres de cette religion qui ne dit pas
son nom. Ils sont les principaux propagateurs des mythes et des dogmes. Ecoutez
leurs prêches : des commentaires dithyrambiques sur les saints (c’est-à-dire
les champions) et le constant rappel des tables de la loi sportive. Ils officient
en semaine et le dimanche mais comme ces curés cathodiques sont modernes et
moins naïfs que leurs prédécesseurs catholiques, ils le font aux heures de grande
écoute. Ce clergé édicte les Lois et les Vérités et est l’unique détenteur du
"bien penser" sportif.
Des
inquisiteurs
Les prêtres s’adressent en priorité aux fidèles, aux convaincus, lors des offices
télévisuels ou dans les bulles du clergé (les journaux de sport) que lisent
les plus croyants. Mais voilà, quelques irréductibles hérétiques subsistent.
Une poignée de journaux comme Charlie Hebdo ou Le Monde Diplomatique ne participent
pas au concert de louanges, à la régression collective qui s’opère à chaque
"grande messe sportive". Ceux-là, ils faut les punir de n’avoir pas bêlé “ allez
la France ” avec le troupeau. Il faut exorciser le mal et ramener ces brebis
galeuses dans le droit chemin. Des inquisiteurs vont s’en charger. Ce sont des
plumes reconnues, dotés de plus de capital symbolique que les petits prêtres.
Ils chargent, dénoncent les "aigris" et les "esprits chagrins" qui ont cherché
à gâcher la belle et noble fête du sport. Les inquisiteurs se répartissent au
sein de plusieurs officines comme la Loge Le Monde ou encore L'Opus Nouvel Obs.
Une
étroite complicité avec le système économico-politique
Tout comme la religion catholique sous la royauté et sans doute jusqu’à la date
historique de 1905 où est intervenue la séparation de l’Eglise et de l’Etat,
l’institution sportive coopère étroitement avec le pouvoir politique et économique.
On le sait depuis Rome, le pouvoir politique apprécie les jeux. Ils se sont de tout temps montrés plus efficaces pour le contrôle des populations que la plus terrible des répressions. Les “ grands événements sportifs ” (qui, à les regarder de près, sont en réalité des non-événements historiques, des faits creux et complètement vains) sont donc toujours soutenus –voire organisés– par le pouvoir politique qui trouve là une source particulièrement perverse mais diablement efficace de légitimation. 1936, 1978, 1980, sont des dates emblématiques de la collusion du pouvoir politique et de l’institution sportive. 1936 : les J.O. du nazisme ; 1978 : Le mondial de foot dans l’Argentine ensanglantée de Videla ; 1980 : Moscou, les J.O. du goulag. Là aussi, on pourrait multiplier les exemples.
Comme il a été le modèle de la fausse méritocratie soviétique, le sport est également une des pièces maîtresses de l’apprentissage et de l’acceptation par la population du mode de production capitaliste. Il en est son parfait reflet, suit les mêmes lois : la loi du plus fort, la victoire à tout prix même si c’est celui des magouilles ou du sang, le règne des gagnants sur les perdants, la compétition, la lutte de tous contre tous à tous les stades de l’existence, des bancs de l’école à l’entreprise.
En ce sens, le lieu commun qui affirme que "le sport, c’est l’école de la vie" est certes lapidaire mais pourtant juste : le sport nous prépare dès l’enfance au respect des règles du système capitaliste, grâce à l'incorporation de ces règles jusque dans notre intimité psychologique, jusqu'au point où elle nous semblent naturelles —alors qu'elles sont profondément sociales— jusqu'au point où elles nous semblent vraies et valides —alors qu'elles ne sont que de l'impensé— jusqu'au point où même les perdants, les dominés, les lésés d'un système aussi pervers, les acceptent et les défendent.
C'est pourquoi il faut dire, répéter et crier que pas plus que le système capitaliste, le sport n'est naturel et ancien. L'idéologie du sport contemporain prend racine dans la très industrielle et capitaliste Angleterre de la fin du 19ème siècle… qui s'est alors créé des sports à son image en les inventant de toute pièces ou en réactualisant certains jeux traditionnels.
Un autre sport est possible. Un sport où le plaisir ne vient plus de l'adversité et de la domination mais de la coopération ; où le geste n'est plus mécanisé, robotisé —en un mot, "fordiste"— mais libéré ; où les arbitres, les censeurs, les comités, les couloirs, les lignes, les chronomètres, les règlements, ne sont plus d'aucune utilité. Cette façon de faire du sport existe : elle se lit dans certains sports de rue ou de pleine nature. A nous de nous arranger pour qu'elle envoie définitivement aux oubliettes la très poussiéreuse et réactionnaire institution sportive.
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